La compétence judiciaire concernant les contrats de prestation de service au sein de l’Union Européenne, Revue de Jurisprudence Commerciale

Article publié dans la Revue de Jurisprudence Commerciale novembre/décembre 2017, page 569 : « La compétence judiciaire concernant les contrats de prestation de service au sein de l’Union Européenne ».

 

La compétence judiciaire concernant les contrats de prestations de services au sein de l’union européenne

Par Jean-Marie LELOUP*

 

Cour de cassation – chambre commerciale, 13 septembre 2017,  n° 15-26019

 

 

 

 

« Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société de droit espagnol La Viuda de Rafael Estevan Gimenez SL (la société La Viuda) ayant rompu les deux contrats d’agence commerciale qui la liaient à la société Axiom pour la distribution de ses produits en exclusivité sur le territoire français, celle-ci l’a assignée en paiement d’une indemnité de cessation de contrat et de commissions devant le tribunal de commerce d’Aubenas ; que la société La Viuda a soulevé l’incompétence de ce tribunal au profit de la juridiction espagnole du lieu de son siège social en application du règlement (CE) n° 44/2001 ;

 

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche :

 

Attendu que la société La Viuda fait grief à l’arrêt de dire le tribunal français compétent pour statuer sur l’ensemble des demandes de la société Axiom et de la condamner à payer à celle-ci l’indemnité de rupture alors, selon le moyen, qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut être attraite, en matière contractuelle, devant le tribunal d’un autre Etat membre où l’obligation qui sert de base à la demande doit être exécutée ; que l’obligation au paiement d’une indemnité de fin de contrat, qui est indépendante du caractère licite ou non de la rupture et qui ne se substitue pas à une obligation contractuelle originaire, formée par un agent commercial, est une obligation autonome qui s’exécute au domicile du débiteur ; qu’en retenant que le tribunal de commerce d’Aubenas était compétent pour connaître de toutes les demandes formées par l’agent commercial, quand sa demande en paiement d’une indemnité de fin de contrat, relative à une obligation autonome, distincte des obligations contractuelles originaires, relevait de la compétence de la juridiction du domicile de son mandant et donc de la juridiction espagnole, la cour d’appel a violé l’article 5.1 du règlement de Bruxelles n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ;

 

 

____________________________________

 

* Jean-Marie Leloup, Docteur en droit, est Avocat au Barreau de Paris, ancien Bâtonnier de l’Ordre de Poitiers

 

Mais attendu qu’après avoir énoncé que, pour l’application de l’article 5-1 du règlement (CE) n° 44/2001 à un contrat d’agence commerciale, la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit dans l’arrêt Wood Floor du 11 mars 2010 (aff. C-19/09), qu’en cas de fourniture de services dans plusieurs Etats membres, le tribunal compétent pour connaître de toutes les demandes fondées sur le contrat est celui dans le ressort duquel se trouve le lieu de la fourniture principale des services de l’agent, tel qu’il résulte des stipulations du contrat ainsi que, à défaut de telles stipulations, de l’exécution effective de ce contrat et, en cas d’impossibilité de le déterminer sur cette base, celui où l’agent est domicilié, l’arrêt en a exactement déduit que les demandes de la société Axiom, qui étaient toutes fondées sur le contrat, relevaient, sans exclusive, de la compétence du tribunal d’Aubenas ; que le moyen n’est pas fondé ;

 

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, le troisième moyen et le quatrième moyen, réunis :

 

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

 

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :

 

Vu l’article 455 du code de procédure civile ;

 

Attendu que pour condamner la société La Viuda à payer une certaine somme au titre du solde impayé des commissions du troisième trimestre 2011 et du mois d’octobre 2011, l’arrêt se fonde sur le décompte établi par la société Axiom, après avoir relevé que celle-là ne formulait pas de critiques utiles de ce décompte, se bornant à poser des questions et à procéder par voie d’affirmation sans preuve ni argument ;

 

Qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société La Viuda qui soutenait qu’elle s’était déjà acquittée de cette dette, ni analyser les éléments de preuve produits qu’elle invoquait à l’appui de ce moyen, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;

 

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le dernier grief :

 

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il condamne la société La Viuda de Rafael Estevan Gimenez SL à payer à la société Axiom la somme de 108 593,93 euros, au titre du solde impayé des commissions du troisième trimestre 2011 et du mois d’octobre 2011, et statue sur l’article 700 du code de procédure civile ainsi que sur les dépens, l’arrêt rendu le 4 juin 2015, entre les parties, par la cour d’appel de Nîmes ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; »

 

Cette décision de la chambre commerciale s’inscrit parfaitement dans la droite ligne de l’interprétation par la Cour de justice de l’Union Européenne, du Règlement 44-2001 du 21 décembre 2000 dont l’article 5 est ainsi rédigé en son paragraphe 1 :

«Une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut être attraite, dans un autre Etat membre :

 

  1. a) En matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ;

 

  1. b) Aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est :

 

– pour la vente de marchandises, le lieu d’un Etat membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,

 

– pour la fourniture de services, le lieu d’un Etat membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;

 

  1. c) le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas. »

 

L’application de ce texte a présenté des difficultés pour les ventes de marchandises comme pour les prestations de services lorsque les livraisons ont été effectuées en plusieurs points ou les fournitures de services en plusieurs lieux.

 

La Cour de Justice a réglé la difficulté d’une façon parfaitement cohérente.

 

En premier lieu, son arrêt C-386-05 du 3 mai 2007 (Color Drack GmbH c/ Lexx International Vertriebs GmbH) lui a permis de faire savoir que :

 

  • l’article 5, 1) b), premier tiret, s’applique tant en cas de pluralité que d’unicité des lieux de livraison.La pluralité de ces lieux n’entraîne pas la compétence de tous tribunaux dans le ressort desquels les marchandises ont été ou auraient dû être livrées.

 

  • Par lieu d’exécution, il faut entendre celui qui assure le lien de rattachement le plus étroit entre le contrat et la juridiction compétente, c’est souvent le lieu de la livraison principale, laquelle doit être déterminée en fonction de critères économiques,

 

  • Faute de détermination du lieu de la livraison principale, le demandeur peut attraire le défendeur devant le tribunal du lieu de la livraison de son choix.

 

Est venu ensuite l’arrêt du 25 février 2010, dans l’affaire C-381/08 (Car Trim GmbH c/ KeySafety Systems Srl) : à propos de fourniture de systèmes d’airbag à des constructeurs de voitures, la question était de savoir s’il fallait considérer qu’il s’agissait de vente de marchandises ou de prestation de services du fait que l’acheteur avait formulé des exigences concernant l’obtention, la transformation et la livraison des biens.

 

S’attachant au fait que KeySafety déterminait les fournisseurs auprès desquels Car Trim devait s’approvisionner, mais ne fournissait elle-même aucun matériau, la CJUE a penché pour la qualification de vente de marchandises et décidé que le lieu où ces marchandises ont été ou auraient dû être matériellement remises à l’acheteur selon le contrat, doit être tenu pour le lieu de livraison.

 

S’il est impossible à déterminer sur cette base, il faut comprendre le lieu pris en compte pour l’application de l’article 5-1 du Règlement 44/2001 comme celui de la remise matérielle des marchandises par laquelle l’acheteur a acquis le pouvoir d’en disposer effectivement.

 

Puis l’arrêt de la CJUE du 11 mars 2010 (affaire C-19/09 : Wood Floor Solutions Andreas Dumberger GmbH c/ Silva Trade SA) relatif à la fourniture de services : il s’agit, comme dans l’espèce présentée, d’un contrat d’agence commerciale.

 

La société d’agence Wood Floor avait assigné son mandant Silva Trade devant une juridiction Autrichienne.

 

Le mandant a observé que plus des trois quarts du chiffre d’affaires avaient été réalisés dans d’autres pays que l’Autriche et dès lors, selon lui, l’article 5.1 du Règlement devenu inapplicable, la compétence était nécessairement déterminée par l’article 2 du Règlement, c’est-à-dire au domicile du défendeur.

 

Rappelant son arrêt Color Drack, évoqué ci-dessus, la Cour de justice constate que les règles de compétences spéciales énoncées par le Règlement en matière de contrat de vente de marchandises d’une part, et d’autre part de fournitures de services, poursuivent la même finalité et occupent la même place dans le système établi par le Règlement. En conséquence, un seul tribunal doit être compétent pour connaître de toutes les demandes fondées sur le contrat.

 

La Cour de Justice précise ensuite que c’est l’agent commercial qui exécute la prestation caractéristique du contrat d’agence : en conséquence, le lieu d’exécution du contrat est le lieu de la fourniture principale des services de l’agent.

 

Il incombe donc aux juridictions nationales de rechercher, en fonction des éléments du procès qui leur est soumis, le lieu où l’agent commercial doit principalement fournir ses prestations « consistant notamment à préparer, à négocier, le cas échéant à conclure les opérations dont il est chargé ».

 

Dans le cas d’impossibilité de déterminer avec certitude le lieu de fourniture principale des services de l’agent, sur base du contrat et de son exécution, il faut rechercher ce lieu en considération des objectifs de prévisibilité et de proximité.

 

Cela conduit à retenir le lieu où l’agent est domicilié, qui répond le mieux à ces deux objectifs.

 

La décision rapportée applique exactement la méthode donnée par la Cour de Justice.

 

La chambre commerciale, le 13 septembre 2017, rejette la distinction, très mal venue en ce domaine, des obligations indépendantes et des obligations nées du contrat.

 

L’application du Règlement du 21 décembre 2000, n° 44-2001, impose que toutes les demandes fondées sur le contrat soient examinées par le tribunal dans le ressort duquel a eu lieu la fourniture principale des services de l’agent.

 

 

 

 

 

C’est bien au lieu de son domicile professionnel, puisque c’est généralement là qu’il accomplit le devoir d’information que lui impose l’article L.134-4 du Code de commerce et reçoit les informations que le mandant lui doit en accomplissement du même devoir réciproque.

 

La parfaite adéquation de la Cour de cassation à l’interprétation donnée par la Cour de Justice de la compétence internationale en matière de contrat d’agence est satisfaisante et la similitude de la rédaction de l’article 5 du Règlement 44-2001, dont l’interprétation vient d’être examinée, et de l’article 7 du Règlement 1215/2012 applicable aux actions judiciaires intentées depuis le 10 janvier 2015, offrent une garantie de stabilité à la solution retenue.

 

Il va de soi que cette solution et les étapes de la pensée de la Cour de Justice y conduisant, n’ont pas lieu de s’appliquer en présence d’une clause attributive de compétence ou, comme le disent les Règlements communautaires, d’une prorogation de compétence.

 

Sur ce point, la stabilité entre le Règlement de 2000 et celui de 2012 n’est peut-être pas certaine.

 

Le Règlement 1215/2012, en son article 25, admet plus largement la validité d’une prorogation de compétence puisqu’elle n’exige plus, pour l’efficacité de cette clause, que l’une des parties au moins ait son domicile sur le territoire d’un Etat membre, comme le prescrivait l’article 23 du Règlement 44-2001.

 

C’est le moment d’observer que cette clause de prorogation de compétence peut être souscrite par toute personne, alors qu’en droit interne seules les personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant ont la possibilité de souscrire valablement une clause attributive de compétence.

 

Cela est important au regard de la profession d’agent commercial puisqu’un agent Français, personne physique, n’ayant pas la qualité de commerçant, peut valablement souscrire une clause de prorogation de compétence dans un contrat international, alors qu’une telle clause ne peut lui être opposée en droit interne.

 

En droit interne, la jurisprudence est parfaitement fixée pour adhérer à l’analyse de la Cour de Justice dans la série d’arrêts qui sont évoqués ci-dessous.

 

La compétence de principe du lieu où demeure le défendeur, édictée par l’article 42 du Code de procédure civile, est généralement évincée par la compétence optionnelle offerte par l’article 46 du même Code, permettant de saisir la juridiction du lieu d’exécution de la prestation de services, c’est dire que le domicile professionnel de l’agent, confirmé par son inscription au Registre Spécial des Agents Commerciaux, détermine habituellement la juridiction compétente ; dans une longue et abondante lignée jurisprudentielle on peut citer l’arrêt de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation du 18 juin 2009 (n° 08-18753), comme les arrêts de Nîmes du 18 novembre 2010 (n° 09-05195), ou de la Cour de Rennes du 22 mai 2007 (RG n° 05-08124).

 

 

 

 

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