Le tribunal de commerce de Paris pose une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union Europeenne sur le mot « négocier » dans l’article l. 134-1 du code de commerce

Ce que d’autres juridictions auraient dû faire depuis plusieurs années, et qu’elles n’ont pas fait malgré les encouragements de la doctrine[1], le tribunal de commerce de Paris, par la décision rapportée ci-après, vient de le faire.

On sait que depuis 2008, d’abord dans des espèces intéressant les opérateurs téléphoniques[2], la Cour de cassation a fait prévaloir une interprétation du mot « négocier » qui figure à l’article L. 134-1 du code de commerce comme à l’article 1er de la directive du Conseil 86-653 du 18 décembre 1986 dont la loi française est la transposition.

Cette surprenante interprétation entend le mot « négocier » comme s’il voulait dire fixer les prix et définir les conditions du contrat. Cette interprétation est contraire au sens donné à la loi de transposition, depuis le 25 juin 1991 jusqu’aux arrêts de 2008, comme elle est contraire aussi au sens du décret du 23 décembre 1958 et à la tradition prétorienne ayant institué le mandat d’intérêt commun, catégorie à laquelle le contrat d’agence commerciale appartient.

Le tribunal de commerce, sagement, se réfère aux dictionnaires pour indiquer le sens du mot « négocier » : il fait parfaitement apparaître qu’on ne saurait admettre que « négocier » signifie modifier les prix et conditions établis par le mandant[3].

Cette interprétation du mot « négocier », à laquelle le tribunal de commerce n’adhère pas, est évidemment incompatible avec la situation de mandataire, affirmée dès les premiers mots de l’article L. 134-1 : « L’agent commercial est un mandataire… ».

La qualité de « mandataire » impose le respect des instructions du mandant, sinon le mandataire est en faute (article 1989 du code civil).

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On songe à Albert Camus : « Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde ».

Cette interprétation erronée du mot « négocier » a en effet eu des effets néfastes.

Elle renverse l’équilibre économique du contrat d’agence commerciale défini depuis longtemps par la jurisprudence puis par le décret du 23 décembre 1958, puis par la directive communautaire de 1986 : au temps du contrat, mandant et agent unissent leurs efforts, le premier perçoit sa marge, le second sa commission ; mais lorsque survient la fin du contrat, le capital de relations constitué par l’agent profite entièrement au mandant puisque les clients sont les clients du mandant et l’agent commercial perd la part de marché constituée par son travail et sa compétence au temps du contrat.

C’est pourquoi toute la jurisprudence jusqu’à la reconnaissance légale de la profession depuis et les textes légaux organisant cette reconnaissance ont imposé la nécessité d’une indemnité de cessation de contrat.

L’agent commercial en est le créancier et la tentation peut être forte chez des entreprises indélicates, oublieuses du travail de l’agent et de ce qu’elles étaient elles-mêmes au début du contrat d’agence, d’éviter par tout moyen le paiement de l’indemnité après la fin du contrat.

L’interprétation erronée du mot « négocier » a permis ces comportements opportunistes.

Malheur à l’agent commercial qui écouterait le courant jurisprudentiel auquel la question posée par le tribunal de commerce va mettre fin : si l’agent se permet de modifier les conditions, il est en faute.

L’arrêt de la chambre commerciale du 25 juin 2013 est particulièrement significatif[4].

Un agent commercial ayant conclu avec le Groupe Carrefour un accord au plan national, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel qui a accordé à cet agent une importante indemnité, faute d’avoir répondu aux conclusions de la société mandante qui soutenait que l’agent « avait violé son obligation de respecter strictement les directives de la mandante pour les tarifs ».

Ainsi, un résumé pessimiste de la jurisprudence que le tribunal de commerce a le mérite de soumettre à la Cour de Justice de l’Union européenne, pourrait être :

–      si l’agent modifie les tarifs au cours du contrat, il est en faute,

–      après le contrat, il ne peut pas être indemnisé faute de les avoir modifiés.

*

Le tribunal de commerce a eu la pertinence de s’entourer d’informations sur la jurisprudence d’autres États membres de l’Union européenne qui, comme la France, doivent respecter la directive du 18 décembre 1986.

Là encore l’attention avait été attirée par la doctrine[5].

Le tribunal de commerce n’a pas oublié que toute juridiction d’un État membre de l’Union est un tribunal de l’Union et en rapportant la jurisprudence émanant d’autres États membres, il est au cœur de sa mission.

À la vérité, la jurisprudence que le tribunal de commerce soumet à la Cour de Justice est née d’une méconnaissance des réalités de la distribution.

La ménagère qui discute un prix, et qui a raison de le faire, accomplit l’acte final de tout le circuit de distribution : la remise du produit au consommateur ; le droit de la consommation appartient incontestablement au droit des affaires, toute l’œuvre du Professeur Guy Raymond l’a démontré[6].

Mais la consommatrice qui veut payer à moindre prix que le prix indiqué une botte d’oignons[7], ne négocie pas, elle débat, discute, marchande.

La négociation n’est pas affaire de quelques secondes.

Le dictionnaire Robert, opportunément cité par le jugement du 19 décembre, indique bien « que négocier c’est faire du négoce, agir auprès de quelqu’un en faveur d’un tiers, il s’agit de démarches qu’on entreprend pour parvenir à un accord pour conclure une affaire ».

La nouvelle rédaction de l’article 1112 du code civil, due à l’ordonnance du 10 février 2016, évoque parfaitement l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles.

L’article 1112 montre bien que négocier ne se fait pas en un instant, c’est une mission qui ne connaît pas de repos (Neg ocium).

La mission des agents commerciaux, ambassadeurs et informateurs des entreprises mandantes qui ont recours à eux, est de créer un climat de confiance avec les clients, de connaître leurs besoins et leur méthode de vente, pour pouvoir obtenir des commandes.

Mais dans les marchés qu’ils négocient, le prix n’est pas, à la différence de la perspective limitée du consommateur, le point unique de l’accord.

Ce que très souvent l’agent commercial reçoit mission de négocier, c’est une enveloppe globale dans laquelle vont intervenir les budgets consentis par le producteur, les points de livraison, la présentation des produits dans des formats plus ou moins faciles à exposer dans le linéaire des grandes surfaces, etc. le prix n’est qu’un élément parmi d’autres et pas nécessairement le plus important.

Tout cela les juges consulaires le savent.

Leur expérience est indispensable à l’effica­cité notre système judiciaire.

Le tribunal de commerce de Paris, par la décision de sa 19e chambre du 19 décembre 2018, vient d’en apporter une nouvelle démonstration.

º        Tribunal de commerce de paris, 19e chambre, 19 décembre 2018, RG 2017015204

ENTRE :

SARL TRENDSETTEUSE, dont le siège social est 28, boulevard de l’Orangerie 95160 Montmorency – RCS de Pontoise B 750566846

Partie demanderesse : assistée de Me François Petit membre du Cabinet PMH & Associés Avocat au barreau de Pontoise et de Me Grignon Dumoulin Gaël Avocat plaidant (C318) et comparant par Cabinet Schermann Masselin Avocats Associés Avocat (R142)

ET :

SARL DCA, dont le siège social est 2 RUE DE LA PORTE GENOISE 20137 PORTO- VECCHIO – RCS B 519581920.

Partie défenderesse : comparant par Me Hélène Carpentier-Péron Aline Avocat (E1362)

Après en avoir délibéré,

Les faits objet du litige

La SARL DCA fabrique et diffuse la marque IZI-MI, ci-après IZI, auprès d’une clientèle de détaillants, et exploite deux boutiques de vente au détail de prêt à porter et bijoux en Corse ; La SARL TRENDSETTEUSE, ci-après TREND, est une agence commerciale spécialisée dans le domaine du prêt à porter et accessoire ; elle emploie des sous-agents dans différentes régions et diffuse les produits de ses mandants dans des showrooms, dans des salons et depuis ses bureaux de Paris ;

Les gérantes de ces deux sociétés se connaissant très bien et entretenant des relations très amicales, elles ont conclu un accord oral en juillet 2013 aux termes duquel DCA a chargé TREND de diffuser sa marque IZI dans son showroom et, en contrepartie, elle l’a commissionnée sur le prix de vente, à hauteur de 15% pour les articles de prêt à porter et de 12% pour les bijoux pour le secteur dit Grand Nord (c’est-à-dire tout le nord de la France) puis à partir de juin 2014 pour le secteur dit Grand Sud (c’est-à-dire tout le sud de la France) ; ainsi à compter de juin 2014, TREND était chargée, selon les dires mêmes de DCA, de conclure au nom et pour le compte de cette dernière des contrats de vente des produits de la marque IZI avec les détaillants dans la France entière à l’exception de la Corse que DCA s’était réservée : à ce titre elle devait mettre en relation DCA avec une clientèle laquelle passait ensuite ses commandes par l’intermédiaire de TREND ou directement auprès de DCA ; TREND remplissait donc une mission, pour le compte de cette dernière, de prospection de la clientèle, de prise de commandes, de conclusions de contrats de vente et de suivi des expéditions et livraisons.

Estimant que ses ventes dans le secteur Grand Sud étaient insuffisantes, selon elle du fait du manque d’implication du sous-agent de TREND dans cette zone, DCA notifiait à cette dernière, par lettre en A/R du 29 mars 2016, sa décision de lui retirer le dit secteur, c’est-à-dire la moitié de la France, en lui indiquant que si elle n’acceptait pas cette réduction de son périmètre, elle serait contrainte de cesser toute collaboration ; par lettre avec A/R du 12 avril 2016, TREND faisait alors valoir à DCA que ce retrait de la zone Grand Sud n’était pas justifié et qu’elle le contestait car il lui faisait perdre la moitié de son chiffre d’affaires, et ce, sans que DCA ne lui propose de l’indemniser pour cette perte ; néanmoins, au printemps 2016, cette dernière confiait le dit secteur à un autre agent, la société Joe et Co, et mettait en place des showrooms éphémères dans le Sud pour permettre à cette dernière de présenter ses collections ;

Le 14 octobre 2016, TREND résiliait alors par lettre en A/R son contrat aux torts exclusifs de DCA et lui réclamait les indemnités de rupture de contrat légalement dues à un agent commercial ;

DCA a refusé de lui payer lesdites indemnités, car elle considérait d’une part que TREND n’avait pas la qualité d’agent commercial au sens de l’article L. 134·1 alinéa 1 du code de commerce, d’autre part qu’elle n’était pas à l’origine de la rupture et, enfin que cette dernière avait commis des fautes graves ;

TREND, après avoir en vain cherché un règlement amiable du litige par le biais de l’APAC, a alors saisi le tribunal de céans.

Procédure

Par acte en date du 14 décembre 2016, la société SARL TRENDSETTEUSE assigne, devant le tribunal de commerce de Pontoise, la SARL DCA ;

Par conclusions du 7 décembre 2016, DCA a soulevé une exception d’incompétence ; Par jugement du 28 décembre 2016, le tribunal de commerce de Pontoise s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris auquel il a transmis l’affaire ;

Aux audiences des 17 octobre 2017 et 4 septembre 2018, la SARL TRENDSETTEUSE demande au tribunal, dans le dernier état de ses prétentions, de :

Vu les articles 267 et 288 du Traité Fondamental de l’Union Européenne,

Vu la directive N° 86/653 CCE du conseil du 18 décembre 1986,

Vu les articles L. 134-1 et suivante et les articles R. 134-1 et suivants du code de commerce,

Avant toute décision au fond de poser la question préjudicielle suivante à la Cour de Justice de l’Union Européenne :

« l’article 1er, paragraphe 2 de la directive N° 86/653 CCE du conseil du 18 décembre 1986, doit-il être interprété en ce sens qu’un intermédiaire indépendant qui n’a pas le pouvoir de modifier les tarifs et conditions contractuels de son commettant n’est pas chargé de négocier au sens de cet article et ne peut donc pas avoir la qualité d’agent commercial au sens de la directive précité ? »,

  • Dire et juger que la rupture du contrat d’agence conclu entre DCA et elle-même est exclusivement imputable à DCA sans qu’aucune faute ne puisse être invoquée contre elle,
  • Condamner DCA à lui payer les sommes suivantes :

– 27.439,76 € TTC au titre des commissions dues,

– 5.800 € HT majorés de la TVA au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

– 43.100 € au titre de l’indemnité de cassation de contrat d’agence,

– les intérêts légaux sur les sommes ci-dessus à compter du 30 juin 2016 avec application des dispositions de l’article 1154 du code civil,

– 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

  • Donner injonction à DCA de lui remettre toutes les informations, en particulier un extrait comptable des balances clients sur l’ensemble de la France, à l’exception de la corse, certifié par un CAC sur la période de janvier 2016 à juin 2017 de manière à lui permettre de calculer la commission qui lui est due et ce sous astreinte de 500 € par jour de retard dans les 8 jours de la signification de la décision à intervenir,
  • Se réserver le pouvoir de liquider l’astreinte,
  • Débouter DCA de toutes ses demandes,
  • Ordonner l’exécution provisoire,
  • Condamner DCA à lui payer 5.000 € au titre de l’article 700 du CPC et aux dépens ;

Aux audiences des 17 octobre 2017, 28 novembre 2017 et 16 octobre 2018, la SARL DCA demande au tribunal, dans le dernier état de ses prétentions, de :

À titre principal :

Vu les articles 267 et 288 du Traité Fondamental de l’Union Européenne,

Vu les dispositions des articles L. 134-1 et suivants du code de commerce issues de la transposition de la directive N° 86/653 du Conseil du 18 décembre 1986,

Vu l’article 1104 du code civil,

  • Rejeter la demande renvoi préjudiciel en Interprétation formulée par la SARL TRENDSETTEUSE en ce qu’elle n’est pas nécessaire,
  • Débouter la SARL TRENDSETTEUSE de toutes ses demandes,
  • Condamner la SARL TRENDSETTEUSE à lui payer la somme de 139.757,86 € en réparation du préjudice subi par elle,
  • Dire que les sommes restantes dues par elle au titre des commissions seront compensées avec les sommes dues par la SARL TRENDSETTEUSE au titre de la réparation à réparer son préjudice,

À titre subsidiaire :

Vu les dispositions de l’article L. 134-1 alinéa 1er et suivants du code de commerce,

Vu l’article 1104 du code civil,

  • Débouter la SARL TRENDSETTEUSE de toutes ses demandes,
  • Condamner la SARL TRENDSETTEUSE à lui payer la somme de 139.757,88 € en réparation du préjudice subi par elle,
  • Dire que les sommes restantes dues par elle au titre des commissions seront compensées avec les sommes dues par la SARL TRENDSETTEUSE au titre de la réparation à réparer son préjudice,

En tout état de cause :

  • Condamner la SARL TRENDSETTEUSE à lui payer 9.240 € au titre de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens,
  • Ordonner l’exécution provisoire.

L’ensemble de ces demandes a fait l’objet du dépôt de conclusions ; celles-ci ont été échangées en présence d’un greffier qui les a visées.

À l’audience de plaidoirie en date du 4/12/2018, après avoir entendu les parties en leurs explications et observations, le tribunal clôt les débats, met l’affaire en délibéré et dit que le jugement, sur la seule question préjudicielle, sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 19 décembre 2018. Les parties en ont été avisées en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

Moyens des parties
(sur la seule question préjudicielle)

En demande à la question préjudicielle sur l’interprétation du terme « négociation » à l’article 1er paragraphe 2 de la directive du 18.12.1986, repris dans le cadre de sa transposition en droit interne par l’article L. 134-1 du code de commerce, définissant un statut protecteur et commun à toute l’Europe pour les agents commerciaux, TREND fait valoir que DCA soutient à titre principal que le contrat liant les parties ne pourrait être qualifié de contrat d’agent commercial faute pour elle de disposer du pouvoir de négocier les prix des articles dont elle obtient la vente pour le compte de son mandant ;

Elle rappelle que :

  • Selon les meilleurs dictionnaires de la langue française le mot négocier signifie « …discuter pour parvenir à un accord… agir auprès de quelqu’un en faveur d’un tiers… Démarche qu’on entreprend pour parvenir à un accord pour conclure une affaire… », que les dictionnaires juridiques retiennent la même définition : « négocier est l’action de traiter une affaire et par extension les divers entretiens démarches tendant à la recherche d’un accord… »,
  • La mission de l’agent commercial est d’obtenir des commandes de clients pour le compte de son mandant, de lui créer une clientèle ou/et d’entretenir celle dont il disposait avant son intervention, que c’est lui qui fait signer au nom et pour le compte de son mandant des commandes et des contrats de vente ; que l’activité principale d’un agent commercial repose avant tout dans la recherche de la clientèle, dans son aptitude à créer et développer le chiffre d’affaires de son mandant et de lui fidéliser une clientèle ;
  • L’agent commercial doit pouvoir faire des offres de prix, quantités et délais de livraison au nom et pour le compte de son mandant, mais que par contre il ne peut pas modifier les tarifs fixés par celui-ci car sa qualité de mandataire s’oppose à ce qu’il déroge aux instructions de son mandant,
  • Que d’ailleurs certaines juridictions françaises et surtout de nombreuses juridictions d’autres pays membres de la communauté, et la législation de ces derniers, ont statué en ce sens,
  • Que l’objectif et la finalité de la directive du 18 décembre 1986, dont l’article L. 134-1 n’est que la transposition littérale, le terme « négocier» étant employé dans les deux pour définir la qualité d’agent commercial, sont de supprimer toutes les restrictions à l’exercice de cette profession et d’uniformiser les conditions de la concurrence à l’intérieur de la Communauté,

Elle fait valoir que, en subordonnant l’application du statut d’agent commercial à la condition que celui qui s’en réclame puisse prouver qu’il a le pouvoir de modifier les conditions de vente de son mandant et de fixer le prix des produits, dont il assure la vente pour le compte de ce dernier, la Cour de cassation méconnait les termes de la directive précitée, ou à tout le moins en donne une interprétation différente de celles des autres juridictions de la communauté et, qu’il en résulte qu’elle fausse le libre jeu de la concurrence entre États membres ; que l’article 288 alinéa 3 du Traité sur le fonctionnement de l’UE prévoit que le juge national, saisi d’un litige dans une matière entrant dans le domaine d’application d’une directive, est tenu d’interpréter son droit interne à la lumière du texte et la finalité de la directive ;

Enfin elle indique qu’il résulte d’une jurisprudence de la CJUE que les juridictions nationales sont tenues, lorsqu’une question de droit de l’Union se pose devant elle, ce qui est le cas en l’espèce puisque le présent litige porte en premier lieu sur l’interprétation du terme « négocier », terme issu d’une directive, de saisir la CJUE à moins que la question soulevée ne soit pas pertinente ou que la disposition a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de cette dernière ou que l’application correcte du droit de l’Union s’impose à l’évidence et ne puisse laisser place au doute ; que cette obligation de saisine a pour objectif de faire respecter deux règles fondamentales de l’UE : la primauté du droit de l’Union et son effectivité, et qu’à cette fin il est nécessaire d’éviter des divergences de jurisprudence dans l’interprétation ou l’application des règles de l’Union entre les différents États membres.

En défense, DCA, qui s’oppose à la question préjudicielle, rappelle que, si TREND a bien été chargée par elle de conclure pour son compte des contrats de vente, cette dernière n’avait pas en revanche le pouvoir de négocier les termes et conditions des vente au sens de l’article L. 134-1 alinéa 1 du code de commerce : qu’en effet la Cour de cassation a consacré une approche restrictive du terme « négocier » en ce qu’il signifie le pouvoir de modifier les tarifs et les conditions de vente ; que n’a donc pas la qualité d’agent commercial la personne qui ne dispose que du pouvoir de promouvoir la vente de produits et de d’obtenir des commandes de clients pour le compte de son mandant, si elle ne peut pas modifier les tarifs de ce dernier ;

Elle réplique à TREND que la saisine de la CJUE n’est absolument pas nécessaire en l’espèce car l’article L. 134-1 alinéa 1 du code de commerce, qui est la parfaite transposition de la directive de 1986, a donné lieu en France à une jurisprudence cohérente avec la définition de la mission de l’agent commercial au sens du droit européen ;

Elle rappelle qu’une question préjudicielle présentée par le juge national et la réponse de la CJUE porte uniquement sur le droit européen et ne saurait concerner l’interprétation du droit national qui relève de la seule compétence des juridictions nationales ; qu’en toute hypothèse l’article 267 du traité consiste uniquement à ouvrir une possibilité au juge national, si il estime qu’une décision de la CJUE sur une interprétation d’une règle communautaire lui est nécessaire pour rendre son jugement, à demander à cette dernière de statuer sur la dite interprétation litigieuse ; et qu’en l’espèce ce n’est ni pertinent ni nécessaire car la définition de l’agent commercial est strictement identique dans la directive et dans l’article L. 134-1 précité :

Enfin, elle fait valoir que le juge national doit prendre en compte les délais assez longs qu’implique l’usage de la question préjudicielle.

Sur ce, le tribunal
(sur la seule question préjudicielle)

Attendu que dans le présent litige, avant tout débat relatif aux questions de fait ayant conduit à leur conflit, les parties s’opposent sur une question de droit à savoir la qualification juridique du contrat conclu entre elles ; qu’en effet TREND soutient, sur le fondement de l’article L. 134-1 1er alinéa du code de commerce, qu’elle aurait la qualité d’agent commercial ce que conteste DCA ; que ledit article définit l’agent commercial « comme un mandataire qui, à titre de profession indépendante… est chargé de façon permanente de négocier et, éventuellement de conclure des contrats de vente…, au nom et pour le compte de producteurs, de commerçants … » ; que cet article est la transposition en droit français, par la loi du 25 juin 1991, de la directive 85/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 ; que ce texte édicte que « aux fins de la présente directive, l’agent commercial est un mandataire qui, en tant qu’intermédiaire indépendant, est chargé de façon permanente, soit de négocier la vente ou l’achat de marchandise pour une autre personne, ci-après dénommée commettant, soit de négocier et de conclure ces opérations au nom et pour le compte du commettant » ; qu’il en résulte que le terme « négocier » dans l’article L. 134-1 est la reprise à l’identique dans le cadre de la transposition de celui figurant dans la directive et que c’est bien un des éléments essentiels pour l’application à un contrat des règles relatives aux agents commerciaux ;

Attendu que les deux parties sont d’accord sur le fait que TREND avait une obligation contractuelle de mettre en relation DCA avec une clientèle laquelle passait ensuite ses commandes par l’intermédiaire de TREND ou directement auprès de cette dernière ; que TREND remplissait donc une mission, pour le compte de DCA, de prospection de la clientèle, de prise de commandes, de conclusions de contrats de vente et de suivi des expéditions et des livraisons ; qu’elles sont également d’accord sur le fait que TREND ne pouvait modifier les conditions de vente, et notamment le prix des produits commandés par ses clients, fixées par DCA ; qu’elles s’opposent par contre sur l’interprétation à donner au terme « négociation » dans l’article L. 134-1 ; que selon TREND négocier est l’action de traiter une affaire et par extension les divers entretiens, démarches tendant à la recherche d’un accord et qu’il en résulte que la qualité d’un agent commercial se définit par la nature de la mission, qui lui a été confiée par le contrat, consiste à obtenir des commandes de clients pour le compte de son mandant, à lui créer une clientèle ou/et d’entretenir celle dont il disposait avant son intervention, et à faire signer au nom et pour le compte de son mandant des commandes et des contrats de vente ; que par contre pour DCA le terme « négocier » signifie le pouvoir de modifier les conditions de vente et notamment les prix des marchandises fixés par le mandant ; qu’elle s’appuie pour se faire sur la jurisprudence française qui réserve la qualité d’agent commercial à un mandataire qui doit nécessairement avoir le pouvoir de modifier les termes et les conditions, notamment les prix, fixés par son mandant ;

Attendu que ce terme « négocier » dans l’article L. 134-1 du code de commerce est, comme il a été vu ci-dessus, l’exacte reprise de celui figurant dans la directive précitée sur le statut des agents commerciaux dans l’UE ; que ce tribunal doit donc pour juger le présent litige se prononcer en premier lieu sur l’interprétation du terme « négocier », figurant dans une directive européenne visant à harmoniser les conditions de la concurrence au sein de l’Union et à supprimer les restrictions à l’exercice de la profession d’agent commercial entre États membres ;

Attendu que l’article 268 alinéa 3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ci-après TFUE, prévoit que le juge national, saisi d’un litige entrant dans le domaine d’application d’une directive, est tenu d’interpréter le droit interne à la lumière du texte et de la finalité de celle-ci ; que par un arrêt du 13 juillet 2000 sur une affaire d’agent commercial, la CJUE a rappelé sur le fondement de cet article que « la juridiction nationale, lorsqu’elle applique des dispositions antérieures ou postérieures à ladite directive, doit les interpréter à la lumière du texte et de la finalité de celle-ci, en sorte qu’elles puissent recevoir une application conforme aux objectifs de cette directive ; que, si la directive n’est pas claire et nécessite une interprétation, le juge doit saisir la CJUE d’une question préjudicielle pour lui faire donner l’interprétation conforme à la finalité de ladite directive ; qu’en effet le juge national ne doit pas interpréter lui-même le texte de droit communautaire s’il y a un doute sur son sens ;

Attendu que, dans des arrêts des 6 octobre 1982 et 18 octobre 2011, la CJUE a jugé que les juridictions nationales sont tenues, lorsqu’une question de droit de l’Union se pose, de la saisir d’une question préjudicielle pour solliciter son interprétation à moins que la question soulevée ne soit pas pertinente ou que la disposition ait déjà fait l’objet d’une interprétation par elle ou que l’application du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse aucun doute raisonnable ; qu’il en résulte que pour décider s’il y a lieu d’interroger la CJUE sur l’interprétation à donner du terme négocier, afin de savoir s’il implique nécessairement la possibilité pour l’agent de fixer le prix des marchandises commandées ou de modifier les conditions de vente de son mandant, il convient d’examiner les questions suivantes : la directive est-elle claire ? la CJUE a-t-elle déjà statué sur une question identique ? la réponse à la question ne laisse-t-elle place à aucun doute raisonnable ? la question est-elle pertinente ?

1)   La directive est-elle claire ?

Attendu que la directive n° 86/653/CCEE du Conseil du 18 décembre 1986, dont le texte relatif à la définition du statut d’agent commercial figure ci-dessus, ne donne aucune définition du terme « négocier », pas plus que les travaux parlementaires préparatoires à la loi n° 91-583 du 25 juin 1991 relative aux rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants, qui l’a transposée en droit français en reprenant à l’identique le terme « négocier », qui a été codifié à l’article L. 134-1 alinéa 1 du code de commerce ; que rien dans les textes communautaires, ni dans les lois et réglementations françaises, ne permet donc de donner une définition du terme négocier ;

2)   La CJUE a-t-elle déjà statué ?

Attendu que la CJUE n’a eu l’occasion de traiter de la définition de la qualité d’agent commercial que dans l’arrêt Kontongeorgas du 12 décembre 1996 où elle a répondu à une question préjudicielle en indiquant que « …un agent commercial a pour mission de prospecter la clientèle et de négocier avec celle-ci et, le cas échéant, de conclure des opérations commerciales… que la seule prospection et des actes qui s’y rapporterait seraient insuffisants pour pouvoir accorder la qualité d’agent commercial au professionnel qui s’y livrerait, mais qu’à cette fin, à la prospection doit être jointe nécessairement une action de négociation » ;

Qu’il résulte donc de cet arrêt que, si la négociation est bien centrale pour déterminer si un mandataire a la qualité d’agent commercial, par contre la CJUE ne donne au travers de sa motivation aucune définition du terme « négocier », pas même un éclairage permettant, à travers une exégèse de l’arrêt, d’en déduire l’intention des juges de cette cour ;

3) La réponse à la question ne laisse-t-elle place à aucun doute raisonnable ?

Attendu que, pour connaître le sens d’un mot dans la langue française, il convient tout d’abord de se référer à la définition qui en été donnée par l’Académie au travers des dictionnaires et que le Robert indique que « négocier c’est faire du négoce, agir auprès de quelqu’un en faveur d’un tiers : Il s’agit de démarches qu’on entreprend pour parvenir à un accord pour conclure une affaire » ; que l’usage et le sens commun, dans la vie courante comme dans les affaires et le commerce, retiennent exactement la même acception en considérant qu’il s’agit de démarches en vue de convaincre quelqu’un, pour son compte ou pour un tiers, de faire quelque chose, de signer un document, d’entreprendre une action, et de convaincre l’acheteur que la chose et le prix qu’on lui propose correspondent à ses attentes ;

Attendu que la doctrine retient des définitions semblables : ainsi M. Cornu dans son Vocabulaire Juridique définit le terme de négociation comme « l’action de traiter une affaire et par extension les opérations préalables diverses consistant en échanges de vues, consultations tendant à la recherche d’un accord » : que M. Fournier dans son ouvrage « l’agence commerciale » écrit en 1998 que « ce qui est en réalité attendu des agents commerciaux c’est de créer un courant d’affaires… sans nier le rôle éventuel de l’agent commercial dans la conclusion d’une affaire, sa fonction primordiale est celle de susciter des offres des clients potentiels de l’entreprise », que plus récemment en 2006, le Pr Ferrier dans son traité du droit de la distribution indique que « la fonction première d’un agent commercial est moins de conclure des contrats que de rattacher une clientèle à son mandant » ; que de même pour M. Dissaux « la négociation peut être caractérisée par le démarchage de la clientèle, l’orientation de ses choix en fonction de ses besoins, sa fidélisation par des actions commerciales ou la valorisation du produit… Négocier signifie présenter des offres en vue d’un accord, démarcher le client, lui proposer les conditions définies par le mandant, le convaincre de les accepter et transmettre au mandant le projet de contrat » ; qu’en définitive, la doctrine en général considère que « le véritable sens du mot négociation est celui du temps consacré à rapprocher les volontés des parties pour parvenir à un accord » ;

Attendu qu’il ressort donc de la doctrine une définition différente de celle de la Cour de cassation puisque, loin de dire que la négociation consiste à fixer le prix et à modifier les conditions contractuelles du mandant, elle retient au contraire que l’agent propose au client les conditions définies par son mandant ;

Attendu en outre que des juridictions d’autres États membres retiennent le même type de définition que la doctrine française ; qu’ainsi par exemple au Royaume-Uni, la « court of appeal » (Cour Royale de Justice de Londres) dans son arrêt du 23 avril 2008, Nigel Fryer c. frth Hardaware, a statué que « il y a négociation dès lors que le mandataire démarche des clients potentiels pour les inciter à contracter avec son mandant, quand bien même il n’a pas le pouvoir d’arrêter les conditions du contrat et notamment le prix» ; qu’en ce qui concerne la transposition de la directive dans le droit d’autres États membres, l’article 1742 du code civil italien a traduit le terme « negociate » de sa version en langue anglaise par « promuovere » ce qui signifie promouvoir, de même en Espagne, dans la loi du 27 mai 1992, transposant la directive, c’est le même terme de promotion qui est utilisé et l’agent commercial y est défini comme « promouvant des opérations de commerce pour le compte d’autrui », de même au Portugal le décret-loi du 13 avril 2013 retient comme définition : « l’agence est le contrat par lequel une des deux parties s’oblige à promouvoir pour le compte de l’autre… », de même encore le code de commerce allemand prévoit dans sa section 84, issue de la loi du 23 octobre 1989 transposant la directive, que « l’agent commercial est une personne qui, en tant qu’entreprise indépendante, est régulièrement chargée de procurer des affaires pour une autre personne » ; qu’il en résulte que dans les législations des autres États membres les termes employés pour traduire le mot « negociate » de la version anglaise de la directive sont plus clairs que le mot français de « négocier » et ont une acception telle qu’on ne peut les interpréter comme impliquant nécessairement le pouvoir de fixer le prix ;

Attendu qu’il convient de rappeler que l’exposé des motifs de la directive, dans ses deuxième et troisième considérants, énonçait : « considérant que les différences entre législations nationales en matière de représentation commerciale affectent sensiblement à l’intérieur de l’Union, les conditions de concurrence et l’exercice de cette profession et portent atteinte au niveau de protection des agents commerciaux ainsi qu’à la sécurité des opérations commerciales ; que ces différences sont de nature à gêner l’établissement et le fonctionnement des contrats de représentation commerciale entre un commettant et un agent commercial établis dans des États membres différents » ; que ces considérants montrent que l’objectif principal de la directive était d’assurer une protection des agents commerciaux en unifiant leur statut entre les différents États membres afin de faciliter la libre circulation et les conditions de concurrence ; qu’il résulte en revanche de l’analyse des jurisprudences et législations étrangères ci-dessus qu’il existe une divergence entre la France et les autres États membres, sur un point dont dépend le champ d’application même d’une norme de droit de l’Union, ce qui va donc à l’encontre des objectifs de la directive et à la nécessité que soit garantie l’application uniforme du droit de l’Union ;

Attendu que même en France plusieurs juridictions se sont écartées récemment de la jurisprudence de la Cour de cassation ; qu’ainsi la cour d’appel de Rennes dans son arrêt du 26 février 2014 a statué que « le pouvoir de négocier ne se réduit pas à celui de fixer les prix des marchandises, lesquels dépendent de la politique commerciale adoptée par le mandant à laquelle l’agent doit se conformer », que la cour d’appel de Lyon dans son arrêt du 8 septembre 2016 motive sa décision en écrivant que « le fait de traiter des opérations commerciales dans le cadre du mandat donné, notamment pour les tarifs des commandes, ne prive pas l’agent de négocier dans le cadre des instructions tarifaires des commandes. Ce fait ne témoigne pas d’une absence d’un pouvoir de négociation mais de la limite du mandat qui est accordé à l’agent commercial qui n’a pas nécessairement le pouvoir de modifier les tarifs que son mandat lui impose … » ; qu’enfin, la 19e chambre de ce tribunal, dans deux jugements tout récents, a motivé ses décisions en écrivant dans le premier, Newbev c. Altiplano, du 28 novembre 2018 (RG N° 2017037386), : « que la mission de négociation de l’agent commercial ne peut, comme le laisse entendre Altiplano se réduire à la faculté de négocier les prix, ou à la conclusion de contrats pour le compte du mandant » et dans le deuxième, DJMS c. Eurodesserts et lncopack, du 7 février 2018 (RG N° 2016070413), « Attendu que la conduite de réunions portant sur la détermination du prix avec les clients et la proposition de vente de prestations et de produits dans le cadre d’un mandat impératif suffit à caractériser la qualité d’agent commercial, quand bien même l’accord sur les prix et prestations nécessiteraient l’accord préalable du mandant avant que ceux-ci ne trouvent à s’appliquer » ;

Attendu qu’il résulte de ce qui précède qu’on ne peut pas soutenir que la réponse, à la question de savoir si la qualité d’agent commercial serait liée à son pouvoir de fixer les prix ou de modifier les conditions de vente de son mandant, soit évidente et en tout cas qu’il est incontestable qu’elle laisse place à un doute raisonnable ;

4)   La question est-elle pertinente ?

Attendu que la question posée est donc relative à la définition et à la portée du terme « négociation », contenu dans l’article L. 134-1 précité sur la qualification d’un contrat d’agent commercial ; qu’elle est au centre de plusieurs arrêts de la Cour de cassation, notamment celui du 20 janvier 2015, dans lequel la haute juridiction motive sa cassation de l’arrêt de la cour d’appel par le fait que cette dernière a violé l’article L. 134-1 du code de commerce en retenant que le demandeur avait la qualité d’agent commercial alors même qu’il résultait de ses constatations qu’il ne disposait pas du pouvoir d’accorder une remise sur les prix et conditions de vente fixés par le tarif de son mandant, d’où il résultait qu’il ne disposait pas d’un pouvoir de négociation ;

Attendu qu’en ce qui concerne la présente affaire, dans laquelle le demandeur sollicite le tribunal de poser une question préjudicielle sur le point de savoir s’il conviendrait de lui refuser la qualité d’agent commercial, uniquement parce qu’il n’a pas le pouvoir de modifier les conditions de vente de son mandant, est un préalable à la solution du litige ; que pour ce faire le tribunal devrait interpréter le terme « négocier » de l’article L. 134-1 précité ; mais que, comme cet article est directement issu de la transposition d’une directive dans laquelle le mot négocier figurait également, le tribunal serait alors conduit à interpréter une norme communautaire, ce qu’il n’a pas le droit de faire ; qu’il est donc pertinent pour la solution du présent litige d’interroger la CJUE ;

Attendu qu’il résulte de tout ce qui précède que la solution du présent litige dépend directement du sens et de la portée à donner au terme « négocier », figurant dans la directive de 1986 sur les agents commerciaux, qu’il s’agit donc d’interpréter un texte communautaire, ce qui relève de la compétence de la CJUE, que cette dernière ne s’est jamais prononcée jusqu’ici sur cette question, que la réponse à y apporter n’a rien d’évidente car elle a fait l’objet, par les différentes juridictions et législations des États Membres, de solutions différentes voire contraires et, qu’il existe donc un doute raisonnable sur la dite réponse ; qu’il est donc légitime et nécessaire de soumettre à la CJUE une question préjudicielle ;

En conséquence le tribunal, en application de l’article 267 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne, surseoira à statuer pour saisir la Cour de Justice de l’Union européenne de la question préjudicielle suivante : « l’article 1er, paragraphe 2, de la directive n° 86/653/CEE du 18 décembre 1986 sur le statut des agents commerciaux, doit-il être interprété comme signifiant qu’un intermédiaire indépendant, agissant en tant que mandataire au nom et pour le compte de son mandant, qui n’a pas le pouvoir de modifier les tarifs et conditions contractuelles des contrats de vente de son commettant, n’est pas chargé de négocier les dits contrats au sens de cet article et ne pourrait par voie de conséquence être qualifié d’agent commercial et bénéficier du statut prévu par la directive ? »

Par ces motifs

Le tribunal statuant par jugement contradictoire en premier ressort :

Avant dire droit,

  • Sursoit à statuer jusqu’à la décision de la Cour de Justice de l’Union européenne sur la question ci-dessous énoncée,
  • Vu l’article 267 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne, pose à la Cour de Justice de l’Union européenne la question préjudicielle suivante :
    « l’article 1er, paragraphe 2, de la directive n° 86/653/CEE du 18 décembre 1986 sur le statut des agents commerciaux, doit-il être interprété comme signifiant qu’un intermédiaire indépendant, agissant en tant que mandataire au nom et pour le compte de son mandant, qui n’a pas le pouvoir de modifier les tarifs et conditions contractuelles des contrats de vente de son commettant, n’est pas chargé de négocier les dits contrats au sens de cet article et ne pourrait par voie de conséquence être qualifié d’agent commercial et bénéficier du statut prévu par la directive ?»,
  • Dit qu’une expédition du présent jugement ainsi qu’un dossier, comprenant les pièces de la procédure et notamment les dernières conclusions des parties, seront transmis, en recommandé et en 4 exemplaires, par le greffe du tribunal de commerce de Paris au greffier de la Cour de justice de l’Union européenne,
  • Article 700 du CPC réservé,
  • Condamne la SARL TRENDSETTEUSE aux dépens de la présente instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 77,84 € dont 12.76 € de TVA.

En application des dispositions de l’article 871 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 4 décembre 2018, en audience publique, devant :

  1. Patrick Schoenahl, M. Gérard Gosset et M. Patrick Careil.

Un rapport oral a été présenté par M. Patrick Careil lors de cette audience.

Délibéré le 4 décembre 2018 par les mêmes juges.

Dit que le présent jugement est prononcé par sa mise à disposition au greffe de ce tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées lors des débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

La minute du jugement est signée par M. Patrick Schoenahl, président du délibéré et par Mme Marie-Anne Bestory, greffier.

*       Jean-Marie Leloup, docteur en droit, est avocat au Barreau de Paris, ancien bâtonnier de l’ordre de Poitiers.

[1] –    Cyril Grimaldi, « le pouvoir de « négocier » de l’agent commercial : l’occasion manquée d’interroger la CJUE » ; l’Essentiel droit de la distribution et de la concurrence, mai 2017, 110/4.

[2] –    Cass. com., 15 janvier 2008, n° 06-14.698, 20 mai 2008, n° 07-12.234, 20 mai 2008, n° 07-13.488 et Cass. com., 9 décembre 2014, n° 13-22.476.

[3] –    voir aussi : AJ Contrats d’affaires, août-septembre 2014, page 246.

[4] –    Cass. com., 25 juin 2013, n° 11-25.528.

[5] –    v. Cyril Grimaldi, op. cit. ; J.M. Leloup, « Les agents commerciaux, statut juridique, stratégies professionnelles », Delmas Dalloz 2015, n° 12.25.

[6] –    Guy Raymond, Droit de la consommation, Lexis Nexis, 4e édition.

[7] –    Comment oublier Brassens ?

 

 

 

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